Benjamin Millepied : le retour à Paris, un projet de famille

Paris Match. Pourquoi ce retour à Paris ?

Benjamin Millepied. Depuis dix ans, j’ai mis toutes mes forces dans le L.A. Dance Project, qui est bien plus qu’une compagnie. Mais ces trois dernières années j’ai eu un sentiment d’isolement. Par sa géographie, Los Angeles esseule les gens. Je faisais deux heures et demie de trajet par jour pour aller bosser, déposer mes enfants à l’école, au foot. Cette ville ne vous emmène pas vers les autres. Quand les enfants grandissent, ils ne peuvent pas avoir leur indépendance car ils sont tributaires de la voiture. Pour mon fils de 11 ans, ça commençait à être dur. Tout ça me donnait le cafard et, avec ma femme, on s’est dit “let’s go home”. Ce retour est un vrai projet familial.

Il y a aussi ces trois fusillades qui ont marqué votre famille.

Oui, mais attention, ce n’est pas une fuite. Il y a d’abord eu une fusillade sur le parking de ma compagnie, qui a duré des heures : un pauvre mec braque un commerce, la police débarque et tire de tous les côtés. Une danseuse de 19 ans a failli être tuée et toute l’équipe a eu besoin d’un soutien psychologique. Cela a été très violent. Dans les deux mois qui ont suivi, nous avons vécu une fausse alerte à l’école de ma fille et il y a eu un meurtre sur le parking de l’école de mon fils. À Los Angeles, on vit dans le mensonge derrière des grilles dorées. Un million de personnes n’ont pas d’eau quand d’autres arrosent leurs jardins et remplissent leurs piscines.

Vous avez aussi présenté, l’année dernière au Châtelet et à La Seine musicale, deux spectacles qui ont cartonné. Cela vous a incité à sauter le pas ?

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Vendre 50 000 billets en trois semaines, c’était assez inattendu… à Paris, je me suis retrouvé dans une ville qui me tendait la main. Et puis, on se déplace à pied ou en métro, on peut s’installer à la terrasse d’un café. C’est une ville d’une grande richesse intellectuelle. Pour moi, c’est un peu un retour au ­village avec des gens engagés, qui se passionnent pour les sujets culturels, écologiques ou sociaux et qui ont baissé, cet hiver, la température de leurs appartements à 19 degrés. [Il rit.] Et c’est en Europe que l’on trouve le plus de ­soutien pour la culture en général.

Il n’y a pas de ministère de la Culture aux États-Unis…

Tout vient de fonds privés et de fondations. Il a fallu du temps pour bâtir le L.A. Dance Project, sans aucun soutien de la ville ! Certes, l’État français se retire en ce moment de plusieurs projets culturels, mais je note l’intérêt que l’on me porte. C’est génial de se sentir soutenu. Je ressens aussi une vraie reconnaissance dans le fait que les sujets que j’abordais lors de mon mandat à l’Opéra de Paris sont devenus essentiels, à commencer par la question de la diversité.

 Aux Etats-Unis, je n’étais que le mari de Madame… En France, je sens une vraie reconnaissance 

Benjamin Millepied

C’est pourtant le manque d’avancées sur ce point précis qui vous a fait démissionner.

Parce que l’Opéra de Paris, l’institution culturelle française qui reçoit la plus grosse subvention de l’État, est certes un joyau, mais uniquement pour une fraction de la société. Aujourd’hui Guillaume Diop vient d’être nommé danseur étoile, c’est bien, mais il faut que ça continue. Il faut se demander à quoi va ressembler la troupe, quel public viendra voir quel répertoire. Quelles vont être les œuvres créées ? Quelles histoires vont-elles raconter ? Avec qui ? Il est nécessaire que la création ressemble à la société française, d’autant que les artistes ont une expression de plus en plus politique. Il faut les laisser avoir un regard sur leur époque.

Vous aviez amorcé ce travail à l’Opéra de Paris. Vous le finirez avec le Paris Dance Project ?

Je suis convaincu qu’il y a à Paris le plus beau public pour la danse au monde. On vit dans un pays qui apporte encore la culture à l’école : les ados peuvent comprendre qu’elle ne se résume pas aux séries télé, contrairement aux États-Unis. C’est quelque chose qu’il ne faut pas perdre. Les sujets principaux qui intéressent les Américains sont la politique et l’argent, qui leur donne un ­statut social. Moi, je cherche à donner des plateformes à des artistes, à emmener d’autres publics à la danse. On a plus que jamais besoin que les gens se réunissent sans écran.

Vous allez aussi remonter sur scène. La danse vous manquait ?

J’ai ressenti le besoin d’y retourner il y a un an et demi, quand j’ai commencé à évoquer un duo avec le pianiste Alexandre Tharaud. En ce moment, je retrouve les sensations, mais il y a la vitesse à laquelle on aimerait se remettre en forme et celle à laquelle c’est possible. Là, je dois remuscler ma jambe gauche et je me suis blessé au mollet : il n’est plus capable d’assumer ce que je lui demande. [Il rit.] Il y a une certaine virtuosité que je ne peux plus atteindre, mais j’apporte autre chose : la maturité, le savoir-faire…

Que retenez-vous de vos jeunes années à Dakar, où est né votre amour de la danse ?

Au Sénégal, la danse et la musique font partie de la vie, c’est une expérience de joie. Cette approche naturelle et authentique a forcément eu un impact sur moi. La danse permet de vous sentir très vivant. Elle célèbre qui l’on est, mais aussi le partage, puisqu’on danse à deux, avec sa femme, avec ses enfants…

Gamin, je dansais seul dans ma chambre

Benjamin Millepied

Dans “Le Monde”, vous avez expliqué que la danse a agi comme une réparation face à une situation familiale compliquée.

Oui, la danse a été pour moi un endroit qui me faisait du bien et un terrain de jeu. Mais cela vient aussi du fait que ma mère était professeur de danse. Gamin, je dansais seul dans ma chambre, je reproduisais les chorégraphies de Michael Jackson. Et puis très vite, j’ai inventé mes propres pas, quand d’autres enfants inventaient des dessins.

Le fait d’être danseur si jeune a fait de vous un garçon singulier à l’école ?

J’ai eu la chance que ça ne soit pas ostracisant. J’étais même dans la bande des garçons populaires. Mais je ne suis pas resté longtemps en classe.

À 13 ans vous intégrez le conservatoire de Lyon. À 16 ans vous ­partez pour New York rejoindre Jerome Robbins…

Je voulais devenir danseur professionnel. Un documentaire sur l’école de danse de l’Opéra de Paris ne m’avait pas du tout donné envie. Donc j’ai atterri à Lyon et j’ai fini danseur étoile au New York City Ballet, peut-être parce que j’ai su saisir les opportunités au bon moment, peut-être aussi parce que des gens ont cru en moi et peut-être enfin parce que j’étais doué.

Vos parents vous ont toujours soutenu ?

Ce n’était pas rien de me laisser partir à 13 ans en internat ! Mais ma mère avait une grande confiance en ce que je pouvais devenir. À Lyon, j’ai reçu une éducation forte, appris l’histoire de la danse, de la musique, de l’art. Et j’ai eu des super profs de danse, Marie-France Delieuvin et Michel Rahn.

Qu’est-ce qui vous a permis de faire la différence à New York ?

Mon bagage culturel et ma curiosité. Jerome Robbins me croisait aux spectacles, on a développé un lien et il m’a présenté Aidan Mooney, qui allait devenir mon meilleur ami. Aidan m’a offert une éducation culturelle gigantesque : il allait tout voir, il avait un avis argumenté sur tout, je sais ce que je leur dois.

Ma fille chorégraphie déjà

Benjamin Millepied

Transmission que vous perpétuez avec vos enfants ?

J’essaie. Et je vais le faire de plus en plus, puisque, ici, je suis entouré de gens passionnants. Même si mon fils est pour l’instant plus porté sur le foot. Ma fille, en revanche, chorégraphie déjà !

À New York, vous étiez la star du City Ballet. Mais c’est le film “Black Swan” qui vous a fait connaître du grand public. Cela reste le tournant de votre carrière ?

Un tournant de ma vie, puisque j’ai rencontré Natalie sur ce tournage [Portman, son épouse] ! Les choses n’ont pas forcément été plus faciles ensuite. Aux États-Unis, encore aujourd’hui, je ne suis que le mari de Madame. Quand j’ai voulu tourner mon film ­ [“­Carmen” qui sortira le 14 juin], je me suis tourné vers un producteur français, Dimitri Rassam, en l’occurrence. J’avais besoin de travailler avec quelqu’un qui me comprenne et qui ait un vrai amour du cinéma européen. Parce que, à ­Hollywood, tout le monde est un peu producteur.

Pourquoi refusez-vous de poser avec votre épouse ?

Elle comme moi avons ce désir de ne pas exposer notre vie privée. Enfin, c’était surtout le cas au début de notre histoire, maintenant nous n’en parlons même plus. Nous ne ressentons pas le besoin d’exhiber notre couple. La manière dont je promeus mon travail ne passe pas par ça. Et c’est la même chose pour elle.

Cela n’empêche pas les rumeurs de séparation ou ­d’infidélité ?

Les gens intelligents savent que la vérité ne se lit pas dans les tabloïds…

Aujourd’hui, la danse est-elle un art élitiste ?

Pas du tout ! C’est un art que tout le monde peut comprendre. Mais il est élitiste quand il se produit dans un temple comme l’Opéra de Paris, où certaines communautés ne semblent pas invitées. Quand la troupe a dansé “Le lac des cygnes” sur le parvis, des gens, qui n’avaient jamais vu une telle grâce, pleuraient. Moi, j’ai envie d’amener la danse dans la ville, dans les hangars. J’aime ce rapport simple, pas intimidant, à l’espace de danse.

Votre travail est-il politique ?

Dans un monde tourné vers les distractions, l’art est un engagement politique. La société et le public en ont besoin pour s’enrichir.

Il y a de la pureté dans votre démarche ?

D’abord une intégrité. Et la foi qu’il faut célébrer la vie.

D’où vient cette foi ?

Alors là…  [Il rit.] , Benjamin Millepied : le retour à Paris, un projet de famille

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