Ancienne choriste de Mory Kanté et d’autres grands de la scène africaine, Aïssata Kouyaté est devenue danseuse et professeur de danse. Avec sa toute jeune compagnie, Kobe Na Awati, cette femme forte veut défendre les traditions de son pays natal, la Guinée, et perpétuer ses rythmes vibrants.
Publié le : 03/12/2023 – 10:01
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Des cheveux teints rasés très courts, de grandes boucles d’oreilles colorées assorties à ses bracelets, et un large sourire. Il se dégage d’Aïssata Kouyaté une force tranquille. Il faut pourtant entendre sa voix fêlée et laisser parler longuement cette quinquagénaire plutôt réservée pour s’apercevoir que son chemin n’a pas toujours été simple.
Née dans une famille de griots à Kissidougou, dans le centre de la Guinée, Aïssata grandit auprès de sa mère et de son grand-père paternel. À la mort de ce dernier, elle est envoyée à Conakry chez une tante chanteuse. En âge d’être scolarisée, l’enfant de 10 ans est placée, au lieu de cela, dans une famille de notables comme bonne à tout faire. Elle pleure souvent et parvient à faire une fugue. Finalement rattrapée par sa tante, elle se « retrouve à faire le ménage pour toute la famille » et vit son « pire calvaire ».
Alors qu’elle suit avec cette tante la préparation d’un spectacle de l’Ensemble instrumental de Guinée, un conservatoire formant aux instruments traditionnels (ngoni, kora, balafon, etc.), Aïssata chante avec eux. La jeune fille s’accroche à la musique et intègre durant deux ans les Ballets africains, même si elle doit faire face à la jalousie de sa mauvaise fée et être battue pour cela. Elle échappe aussi au mariage forcé, décourageant ses prétendants.
Des tournées internationales avec Mory Kanté
Sa bonne fée s’appellera Mory Kanté. Le chanteur et musicien est déjà une star quand elle fait sa connaissance ; il a triomphé un peu partout dans le monde avec le tube « Yeké yeké ». L’adolescente est repérée lors d’un concert donné au Palais du peuple de Conakry. On l’entend aussi à la radio où elle assure parfois des chœurs. Elle est auditionnée. Elle a 17 ans à peine quand elle s’envole avec un visa pour la France, afin d’être choriste, et se souvient encore de ce 5 septembre 1990 où elle est arrivée à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. D’une timidité maladive, elle ne parle pas le français et se mettra à cette langue sur le tas.
Au contact de Mory Kanté, Aïssata « grandit » et apprend le métier. « Lui et moi, ce n’était que des blagues. Comme sa femme était une Kouyaté, j’étais sa « belle-sœur ». Je pouvais tout lui dire. Dès qu’il n’était pas bien, il venait me taquiner pour rigoler. Mais je ne me laissais pas faire », se rappelle-t-elle. Aïssata voyage en permanence. Son école de la vie se fait dans les tournées internationales, au sein d’une équipe où les Africains et les Occidentaux se mélangent sans faire de différences. La jeune femme se contente de peu, économise son argent, et a surtout à cœur de « s’intégrer ».
La danse traditionnelle africaine, un espace de liberté
En parallèle d’une carrière de chanteuse où elle accompagne aussi les Sénégalais de Touré Kunda ou prend part au trio Andouma, qui mêle jazz et musique mandingue, Aïssata retrouve la danse traditionnelle. Petit à petit, la danse devient sa respiration entre deux avions. Elle collabore avec le joueur de djembé Mamady Keita ou avec des ballets de danse africaine comme Nimba en Angleterre, et commence l’enseignement. Surtout, elle rejoint la compagnie du danseur et chorégraphe ivoirien Georges Momboye, auquel elle restera mariée sept ans.
Travaillant avec son mari, la griotte devient une figure de la danse africaine à Paris. Elle est désormais installée dans une MJC (Maison des jeunes et de la culture) de l’Est parisien. C’est pour défendre ses traditions qu’elle a créé son association, Aïba, et en 2021 sa propre compagnie, Kobe Na Awati -dont le nom signifie « chaque chose en son temps » en malinké. Elle chante et danse sur des rythmes qui, à l’image de Doundounba, Kuku, ou Makuru, sont reliés à des moments de la vie quotidienne.
À l’image d’autres danses africaines, la danse guinéenne est un art pour le moins explosif. Accompagnés par des percussionnistes qui jouent très fort, les danseurs mettent leurs pas à l’unisson des tambours et font rouler le bas du dos et les épaules pour mieux se déployer. Les mouvements sont rapides et bien ancrés dans le sol. Ce qui donne lieu à des solos puissants et des unissons au cours desquels l’énergie partagée entre les musiciens et les danseurs amène chacun à sortir de soi-même et peut mener jusqu’à la transe.
« Une artiste n’a pas de lieu fixe »
Avec ses deux grands enfants, Jérémy, 29 ans, et Fatime, 20 ans, ses proches, et des élèves qui suivent religieusement ses cours, Aïssata a désormais ses attaches à Paris. Si elle enseigne la danse un peu partout en Europe et jusqu’au Japon, elle retourne dès qu’elle peut en Guinée pour « recharger ses batteries ». Alors, est-elle devenue plus Française que Guinéenne ? « C’est une question que je me pose souvent, assure-t-elle. Une artiste reste toujours comme une touriste. On n’a pas de lieu fixe, on voyage beaucoup. Comme je suis venue en France à 17 ans, je suis citoyenne française, je suis bien accueillie et j’ai ma place ici. Mais je reste une étrangère. Et quand je vais en Guinée, on ne me voit plus comme Guinéenne, on m’accueille aussi comme une étrangère. On sait que je ne viens que pour quelque temps. »
À chaque fois qu’elle y retourne, Aïssata fait découvrir le pays de ses origines à ses élèves lors de stages de danse intensifs (*). Son dernier spectacle, Taa Maa, histoire d’une femme et de la musique traditionnelle guinéenne, retrace toute son histoire. Cette battante, que tout le monde appelle désormais « tantie » ou « grande sœur », est devenue un formidable lien entre l’Afrique et la France.
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(*) Si elle est surtout un art et un sport féminin en France, la danse traditionnelle est pratiquée indifféremment par les femmes et les hommes en Guinée.
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