Exposition Matisse à Paris : le grand tournant des années 1930 dans l’œuvre de l’artiste

, Exposition Matisse à Paris : le grand tournant des années 1930 dans l’œuvre de l’artiste

Le 26 février 1930, Matisse embarque au Havre, à bord du paquebot Île-de-France, et met le cap sur Tahiti. S’il a déjà fait plusieurs voyages, celui-ci est sans doute le plus important. Le peintre, qui vient d’entrer dans la soixantaine, traverse en effet une crise intérieure. C’est pourtant l’un des artistes les plus célèbres. Le succès de ses scènes d’intérieur et de ses odalisques alanguies ne se dément pas, et trois rétrospectives se préparent à Paris, Bâle et New York. Malgré tout, il a le sentiment de « piétiner ». Et il n’arrive plus à peindre, à quelques exceptions près, telle la Femme à la voilette, prêtée par le MoMA de New York, qui ouvre l’exposition. Ce portrait aux contours anguleux, dépourvu de toute sensualité, montre à quel point Matisse aimerait tourner la page du postimpressionnisme dans lequel il s’est enfermé depuis qu’il vit à Nice.

À lire aussi :

Un long voyage

Mais pour le moment, il souhaite prendre le large dans l’espoir de trouver un nouveau souffle. De fait, « ces années 1930, essentielles, vont marquer un tournant majeur dans sa peinture », explique Cécile Debray, présidente du Musée national Picasso-Paris et commissaire de l’exposition. Elle était à la tête du musée de l’Orangerie, lorsqu’en 2017 lui est venue l’idée d’explorer cette décennie cruciale dont aucune exposition n’avait encore souligné l’importance. Ainsi déroule-t-elle son histoire, en une centaine de tableaux, sculptures, dessins, certains mis en regard d’œuvres de Picasso, afin de rappeler que l’émulation entre les deux géants se poursuit.

Vue in situ de l'exposition « Matisse. Cahiers d'art, le tournant des années 1930 » au musée de l'Orangerie à Paris © musée d’Orsay –Sophie Crépy © Sucession H. Matisse

Vue de l’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 » au musée de l’Orangerie à Paris © musée d’Orsay –Sophie Crépy © Succession H. Matisse

Pour bien cerner les enjeux de la période, le parcours chronologique suit aussi le fil d’Ariane des « Cahiers d’art », car la revue, lancée en 1926 par le critique Christian Zervos, a régulièrement relayé les recherches de Matisse et contribué à le repositionner dans l’avant-garde internationale. Mais revenons au voyage. Le maître s’arrête d’abord à New York, fasciné par ses gratte-ciel, comme il le sera par l’immensité des paysages de l’Amérique profonde, qu’il parcourra en train. Il reste trois mois à Tahiti. Là-bas, il s’imprègne de la nature, nage dans les eaux cristallines du lagon, écrit à son épouse. Et « curieusement, il ne travaille pas », ajoute Cécile Debray. Il réalise juste une pochade, engrange surtout des souvenirs, en dessinant des éléments de son environnement, fleur de tiaré, tronc de banian ou coquillage, et photographie, selon son envie, l’ombre de palmiers, un jeu de lumière ou un enchevêtrement végétal. Motifs qui ressurgiront.

L’invention des papiers découpés

Un autre événement a des effets plus immédiats. En septembre 1930, à peine revenu de Tahiti, il repart en Amérique afin de participer au jury du prix Carnegie, à Pittsburgh. Et il en profite pour visiter la Fondation du collectionneur Albert Barnes, à Merion, dans la banlieue de Philadelphie, où sont accrochés certains de ses tableaux, dont Le Bonheur de vivre (1906). L’initiative portera ses fruits. À cette occasion, Barnes lui commande un décor de quatorze mètres de long, destiné à la salle principale du musée. Pour un artiste en quête de renouvellement, la proposition est providentielle.

Cahiers d'art, 1926, N°7, Page 153 « Œuvres récentes de Henri Matisse » © Editions Cahiers d’Art, Paris 2023

Cahiers d’art, 1926, N°7, Page 153 « Œuvres récentes de Henri Matisse » © Editions Cahiers d’Art, Paris 2023

Matisse l’accepte avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il ne s’est jamais confronté à un projet d’art mural. Pour thème, il choisit la danse, qui apparaît en arrière-plan de son Bonheur de vivre, et le relie à ses fougueuses années de jeunesse parisiennes. À Nice, il loue un vaste garage, à la dimension du futur décor, dont l’élaboration se révélera plus difficile qu’il ne l’imaginait. Sa première composition, exécutée selon la traditionnelle technique picturale, ne lui donnant pas satisfaction, il opte pour une méthode de travail inédite : il utilise des formes découpées dans des papiers gouachés, que des assistants placent et déplacent selon ses instructions, jusqu’à obtenir l’équilibre désiré. Les avancées de sa réflexion sont, elles, documentées par des photos. Malheureusement, à cause de mesures erronées, l’artiste devra entreprendre une deuxième version. Mais cette fois, connaissant la technique, la réalisation sera plus rapide. Et c’est en mai 1933 qu’il supervisera enfin l’installation de la Danse à Merion. Plus tard, il achèvera la première version, qu’abrite aujourd’hui le musée d’Art moderne de Paris.

Vue in situ de l'exposition « Matisse. Cahiers d'art, le tournant des années 1930 » au musée de l'Orangerie à Paris © musée d’Orsay –Sophie Crépy © Sucession H. Matisse 

Vue de l’exposition « Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 » au musée de l’Orangerie à Paris © musée d’Orsay –Sophie Crépy © Succession H. Matisse

La nouvelle manière

En tout cas, « ce chantier est matriciel, affirme Cécile Debray. En redéfinissant ses outils de travail, Matisse se réinvente pour parvenir à des résultats plus radicaux ». Et il appliquera les leçons de la Danse à la pratique du chevalet. En réalité, il ne reprend vraiment les pinceaux qu’en 1934-1935 et commence alors le Grand Nu couché (ou Nu rose). Exceptionnellement prêtée par le Baltimore Museum of Art, c’est l’œuvre qui synthétise le mieux sa nouvelle manière. Là encore, l’artiste s’est servi de papiers découpés gouachés pour tester formes et couleurs, avant de peindre le tableau définitif. Une vingtaine d’états photographiques montrent comment ce Nu, au départ naturaliste, a progressivement gagné en stylisation. Durant cette période, même si le rythme de production de Matisse ralentit, il réalise plusieurs chefs-d’œuvre, dont la hiératique Dame en bleu et mimosas (1937) venue du Philadelphia Museum of Art, ou encore Le Chant (1938), panneau qu’avait commandé Nelson Rockefeller pour décorer son appartement new-yorkais.

Henri Matisse, Le Chant, 1938, huile sur toile, 282 × 183 cm,The Lewis Collection © Succession H. Matisse Photo Museum of Fine Arts, Houston / Will Michels

Henri Matisse, Le Chant, 1938, huile sur toile, 282 × 183 cm, The Lewis Collection © Succession H. Matisse Photo Museum of Fine Arts, Houston / Will Michels

En 1938, le maître emménage dans un nouvel appartement, situé dans l’ancien hôtel Regina, sur les hauteurs de Nice, où seront revivifiés ses souvenirs polynésiens. L’espace est si vaste qu’il y aménage une volière et un jardin d’hiver dans lequel trône un tentaculaire philodendron. Certains tableaux sont d’ailleurs empreints de ces réminiscences tahitiennes, à l’instar de La Musique (1939), dont le fond disparaît quasiment sous l’exubérance de la plante. Et des formes végétales exotiques se glissent dans plusieurs autres peintures et dessins. En fait, les effets de cette décennie continueront d’opérer. Dans les années 1940, alors que les forces de Matisse déclinent et qu’il ne peut plus peindre, les papiers découpés, jusqu’alors simples outils, deviendront des œuvres à part entière. Quant à l’inspiration polynésienne, elle prendra des accents existentiels sur les vitraux de la chapelle du Rosaire, à Vence.


« Matisse. Cahiers d’art, le tournant des années 1930 »
Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, place de la Concorde, 75001 Paris
Jusqu’au 29 mai
« Matisse années 1930. À travers cahiers d’art »
Musée Matisse, 164, av. des Arènes-de-Cimiez, 06000 Nice
Du 23 juin au 24 septembre

Envie de poursuivre
votre lecture ?

Cet article est réservé à nos abonnés ; abonnez-vous pour finaliser votre lecture et profiter de nombreux autres avantages exclusifs :

  • Le site en illimité : les articles, les meilleures expositions du moment passées au
    crible, des analyses d’œuvres…
  • smart : la newsletter de la rédaction réservée aux abonnés
  • Votre magazine en format numérique à chaque parution
  • Des invitations gratuites pour des expositions dans toute la France

La chronique se veut reproduite du mieux possible. Afin d’émettre des observations sur ce document concernant le sujet « Ecole de Danse du Marais », veuillez contacter les coordonnées indiquées sur notre site internet. paris-dance.com est un agrégateur d’information qui garde différentes actualités publiées sur internet dont le thème central est « Ecole de Danse du Marais ». Pour vous faciliter la tâche, paris-dance.com vous partage cet article qui traite du sujet « Ecole de Danse du Marais ». Connectez-vous sur notre site internet paris-dance.com et nos réseaux sociaux dans l’optique d’être renseigné des futures publications.

Exposition Matisse à Paris : le grand tournant des années 1930 dans l’œuvre de l’artiste
Retour en haut