Elle dévore la vie avec ferveur, comme si elle avait 20 ans. Carolyn Carlson se fiche bien d’en avoir quatre fois plus. En juin, sa compagnie créait l’événement à l’Opéra de Paris avec une reprise de Signes, ballet hypnotique sur le mouvement perpétuel. En octobre, pour son ultime création, avec le chanteur Arthur H le temps de deux représentations inaugurales à la Seine musicale, on l’a même vue danser avec quatre des fidèles membres de sa troupe, espiègle voire chaplinesque avec à la main une canne ironique qu’elle agite en chef despotique ou en fée inspirée, car bien sûr elle est à part, elle en joue ; celle qui se proclame « grand-mère de la danse contemporaine française » a surpris son monde, bondissant ici en renarde avisée, là en maestra sûre de son archet.
« Moi la première je n’y croyais pas car c’est Arthur qui m’a poussée à les rejoindre sur scène », s’esclaffe la chorégraphe quelques jours plus tard à la Cartoucherie de Vincennes, précisément à l’Atelier de Paris, vaste studio où sa compagnie prépare ses créations depuis plusieurs décennies.
Silhouette en forme de mèche blonde incandescente, Carlson dirige ce jour-là la répétition de Crossroads to Synchronicity, visible ces jours-ci à Paris au Théâtre Libre avant une grande tournée l’an prochain. On observe les danseurs réglant leurs enchaînements, armes imaginaires au poing, sur American Skin (41 Shots), fameuse chanson de Springsteen sortie en réaction à l’assassinat d’un homme noir par quatre policiers new-yorkais en 1999. « Cette affaire affreuse reste d’une terrible actualité et elle nous ramène aussi à ce qui se passe en Palestine et en Israël », tranche Carlson qui, pour ce ballet, a choisi de mêler des musiques pop rock (Alela Diane, Laurie Anderson, Tom Waits, Ry Cooder) avec des classiques qui la suivent depuis toujours : les minimalistes Philip Glass et Gavin Bryars, avec lesquels elle a créé plusieurs pièces, mais aussi Henry Purcell ou encore Jean Sibelius, compositeur emblématique de la Finlande.
« À 7 ans, raconte-t-elle, je dansais le Kalevala, la grande épopée finnoise, sur la musique de Sibelius dans la maison de mes grands-parents en Californie. Mon grand-père, qui était violoniste, avait joué dans son orchestre avant de quitter la Finlande. J’ai gardé, encadré chez moi, le mot que Sibelius lui a adressé avant qu’il n’émigre. Il avait écrit, en gros : « Ne m’oublie pas en Amérique ! » » Carlson raffole de ces anecdotes qu’elle débite comme dans une transe : « Je ne suis pas du genre calme, j’ai une facette très extravertie. Alors que dans mon travail je suis très intérieure, je cultive une solitude heureuse avec la calligraphie, le bouddhisme zen et la poésie. »
La mystique de Carl Jung
Crossroads to Synchronicity, explique-t-elle, lui a été inspiré par la mystique de Carl Jung, dont elle vénère les concepts clés, « psychologie des profondeurs », « soi supérieur », étude des rêves… « Par lui, j’ai compris que les messages ne passent pas s’ils sont trop directs. On n’explique pas l’amour, pas plus que les coïncidences de la vie, ces synchronismes auxquels on devine malgré tout un sens. »
En fond de scène, une vidéo en noir et blanc déroule des danses qui agissent telles des réminiscences sur le ballet en cours. « Notre matériau de départ, ce sont les moments passés qui changent la vie. Dans mon cas, la mort de mon père quand j’avais 15 ans, mes rencontres décisives avec Alwin Nikolais, avec mon regretté compagnon philosophe et éclairagiste John Davis, avec qui j’ai intégré l’Opéra de Paris dans les années 1970. » Elle précise que ses danseurs ont apporté leurs propres souvenirs marquants, – ruptures, rêves, rencontres – à cette création mais admet que l’ensemble de ces apports la ramène, elle, à ses origines et son parcours. « Je revendique la Finlande car j’ai grandi dans cette culture que j’adorais tout en regrettant de ne pas parler la langue. L’Amérique, où j’ai grandi et où je retourne chaque année, me scandalise au fur et à mesure qu’elle dérive. »
Haïkus et croquis noir et blanc
L’autre spectacle de Carolyn Carlson, The Tree, est une ode écolo-poétique pour neuf danseurs. Comme dans un rêve, elle y célèbre les quatre éléments – air, eau, terre et feu – sous l’influence de l’essai de Gaston Bachelard La Poétique de l’espace. « Ce livre m’a toujours servi en tant que danseuse professionnelle. Le vide, le ciel… Tout y est. […] Chaque matin je me lève très tôt, je bois un café et j’attrape un crayon. Tous mes spectacles sont nés dans ces carnets où j’épanche mes rêves, mes visions. » Elle nous en ouvre un : des haïkus plus ou moins dessinés côtoient une kyrielle de croquis noir et blanc et quelques rares images plus élaborées : un arbre, des corps en mouvement, un horizon, une flamme. On y reconnaît l’embryon de sa scénographie de The Tree, par la suite magnifiée avec les peintures de Gao Xingjian projetées dans le décor…
Autant de méditations qui s’ouvrent à l’improvisation pour dire et redire son obsession : la fragile beauté de l’instant.
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