À partir de 2028, exit le breakdance aux Jeux olympiques. Comment est-il possible qu’une discipline née aux États-Unis ne soit pas au programme à Los Angeles, pour les Jeux du pays qui l’a vu naître ?
Anne Nguyen n’a pas été surprise par la nouvelle. Danseuse hip-hop dans les années 1990, la chorégraphe a mis en scène ces 20 dernières années une vingtaine de spectacles de danse. Ce vendredi soir, sur la scène marseillaise du Zef, sa troupe, la Compagnie par Terre, présente l’une de ses dernières créations, Matière(s) première(s).
L’artiste y met à l’honneur les danses urbaines africaines, ou danses afro, qui sont le volet africain des danses urbaines. Sa création nous emmène au cœur des problématiques des pays exploités pour leurs ressources minières. « C’était important pour moi de ne pas dissocier ces danses de leur contexte ».
Dans Matière(s) première(s), Anne Nguyen fait le lien entre danses urbaines et danses traditionnelles, questionnant l’imaginaire collectif occidental. Avec ses créations, la chorégraphe pose un regard sur l’appropriation culturelle et les tensions entre la liberté créative et l’académisme. Des thématiques d’actualité, tandis que le breakdance est apparu, pour la première et dernière fois, aux Jeux de Paris 2024.
La première fille juge de la plus grande compétition de breakdance
L’aseptisation du hip-hop, qu’Anne Nguyen dénonce, fait de la danseuse une « perturbatrice en chef » dans son milieu. « On me voit comme l’intello du hip-hop », plaisante celle qui a écrit dans le magazine Graff It!, dédié à la culture du graffiti, et qui donne aujourd’hui de nombreuses conférences.
En 2007, à Johannesburg, elle a été la première fille à juger le Red Bull BC One, la plus grande compétition de breakdance au monde. « Ado, je faisais du Viet Vo Dao, de la capoeira, et c’est ce côté martial qui m’a amenée au break ».
Le rap l’incite à se documenter sur l’histoire du mouvement. « Je lisais des magazines hip-hop comme Radikal, je traduisais les paroles des chansons ». À Montréal, à 19 ans, lors d’une année d’échange, Anne Nguyen fait ses premiers pas en battle [duels de breakdance, ndlr].
En 2005, elle lance sa troupe, la Compagnie par Terre. Berlin, New York, Helsinki, Adélaïde ou encore Brasilia… S’ensuivent 20 ans à danser à travers le monde, à présenter spectacles et courts métrages. « Avec mon travail, j’ai voulu montrer que le hip-hop reflétait des problématiques universelles. Et que derrière le mot hip-hop se cachent une multitude de danses sociales urbaines« .
Une gentrification et une aseptisation du hip-hop
Ce long parcours lui a offert une vision panoramique du hip-hop, selon elle désormais majoritairement pratiqué par les classes sociales non défavorisées. « Aujourd’hui, la transmission se fait via des écoles peu accessibles financièrement. Les compétitions visent un public qui peut se permettre de payer l’entrée, et qui reste assis ».
Mais pour la danseuse, le hip-hop n’a pas attendu le mouvement olympique pour se transformer. « On assiste au formatage de ces passionnés devenus athlètes ou égéries en raison des intérêts financiers en jeu dans le marché du divertissement ».
Pour autant, la chorégraphe ne blâme pas ses homologues qui cèdent à ces opportunités. « Il est difficile de vivre de sa danse en travaillant pour des maisons de quartier ou sur le terrain. Le résultat, c’est que la transmission s’est faite en direction des classes plus aisées ».
Ce que la chorégraphe constate et déplore, c’est que le hip-hop « se gentrifie » et « envahit » les centres-villes en même temps qu’il « s’efface » des banlieues. « Le nombre croissant de filles pratiquant le hip-hop est un symptôme : la pratique est plus académique, cadrée, sécurisante pour les parents ».
Loin des carcans, Anne Nguyen s’est formée en autodidacte, au Forum des Halles et là où se réunissaient les breakeurs franciliens. « J’étais une kamikaze, sourit-elle, j’ai eu un péroné cassé, une luxation de l’épaule, une déchirure aux abdos… « . Son art est devenu un sport fédéré, une ignominie à ses yeux. « On a dû me licencier pour que je sois jury. C’est absurde. Comme le fait de ne danser que pour gagner des battles ».
« Les jeunes délaissent le hip-hop pour d’autres danses. Cela doit nous préoccuper »
C’est donc à travers ses œuvres qu’Anne Nguyen tente de revenir à la genèse du hip-hop.
Avec Underdogs et Héraclès sur la tête, ses spectacles présentés dans le cadre de l’Olympiade culturelle, elle offre des clés pour appréhender les valeurs du hip-hop, que la danseuse voit comme un mouvement contestataire et émancipateur. « Mon but est que les gens comprennent le hip-hop d’un point de vue historique et social, pour qu’ils puissent se l’approprier non pas en tant que gestuelle, mais en tant que culture ».
Parfois, la chorégraphe file encore des coups de main « à des potes » pour enseigner ou juger des battles, à Rosny-sous-Bois ou Champigny-sur-Marne. « Dans les banlieues, les jeunes pratiquent plus le krump ou les danses afro que le breakdance ».
Selon Anne Nguyen, cette évolution doit interroger notre société. « Les politiques se vantent de soutenir les jeunes et la diversité en cooptant le hip-hop, alors que les banlieues sont dépourvues de salles de danse, et que peu de danseurs acceptent de travailler auprès des scolaires. Selon Anne Nguyen, il faut aussi s’investir dans des projets qui ne rapportent pas d’argent. Parce que sans transmission, il n’y a pas de culture ».
Article initialement publié dans le hors-série « Game Changeher », juillet 2024
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