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D’un rêve d’enfant à la désillusion. François Alu, flamboyant danseur de l’Opéra de Paris, est devenu un cas à part. Adoré du public, mais entretenant des rapports conflictuels avec la direction, cet affable rebelle avait fait grand bruit en rompant, en novembre 2022, son contrat avec « la Maison », alors qu’il venait enfin d’être nommé étoile, après une longue attente de sept ans.
Dans un livre autobiographique intitulé Le prix de l’étoile publié chez Robert Laffont le 3 octobre 2024, l’artiste, qui s’était fait connaître du grand public en devenant juré de l’émission Danse avec les stars sur TF1, se confie sur les raisons qui l’ont poussé à quitter le ballet parisien, pour embrasser une carrière d’entrepreneur. Reconverti en conférencier d’entreprise, le fringant trentenaire ne dit pas non plus adieu à la scène… et à la danse.
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actu Paris : Quand on lit votre livre, il y a un mot que vous semblez avoir en horreur, c’est celui de « salarié ». Pourquoi ce statut vous rebutait-il tant à l’Opéra ?
François Alu : Pendant des années, j’ai cru que rentrer dans cette institution, faire preuve de rigueur et de discipline allait m’amener à être Patrick Dupond [C’est en visionnant, enfant, un documentaire sur Patrick Dupond que François Alu se met à rêver d’une carrière de danseur étoile, et décide d’entrer à l’École de danse de l’Opéra]. Mais Patrick Dupond était tout sauf un danseur discipliné. Je me suis rendu compte que j’étais un simple exécutant et que ce n’était pas moi. Il y a de très bons exécutants, qui prennent du plaisir à ça. Moi, j’avais l’impression qu’on voulait me contrer, je me sentais rabaissé.
J’avais l’impression que la seule façon de s’en sortir était d’être un entrepreneur. Le fait de m’être senti traité comme de la merde m’a mis très en colère. Ça a été un super moteur cathartique pour mes accomplissements d’écriture, aussi bien pour mon spectacle [François Alu a monté un seul-en-scène, Complètement Jetés] que pour ce livre !
Aujourd’hui, cette expérience de l’Opéra est comme du fioul pour avancer. Quand j’ai des coups de mou, je me dis : « Tu as une alternative, tu pourrais retourner danser à l’Opéra », et ça me booste pour travailler sur mes projets. Aujourd’hui, l’Opéra est super, ce n’est plus du tout le même contexte, mais je le vois toujours comme cette institution d’antan que j’ai connue.
actu Paris : Vous avez passé 12 années au sein de la compagnie. Après une ascension très rapide, votre progression s’arrête net juste avant le titre ultime d’étoile.
F.A. : C’est un paradoxe, parce que chaque année, je montais dans la hiérarchie, et en parallèle j’étais le casse-couilles, le petit con, le rebelle. On ne m’a jamais dit « bravo » en sortant d’une performance. Je manquais de reconnaissance, on ne me disait jamais que c’était bien.
Je me suis battu quand même, je suis resté sept ans au statut de premier danseur [grade sous celui d’étoile]. On m’a bloqué à cette place. On me sous-employait en ne me distribuant pas sur certains rôles qui étaient pourtant faits pour moi. Au bout d’un moment, ça fait chier.
actu Paris : Vous racontez des tensions fréquentes avec la direction et les maîtres de ballet avec qui vous travaillez. Vous vivez très mal le fait de devoir exécuter la chorégraphie stricte, sans pouvoir l’adapter à votre ressenti, notamment dans les grands ballets classiques dansés sous la version de Rudolf Noureev à l’Opéra.
F.A. : Dans les chorégraphies de Noureev, il y a 10 000 petits pas partout. C’est très fatigant, pour peu d’effets en scène. Parfois, je sautais un pas pour avoir plus de respiration, ça me permettait de sauter dix fois plus haut. Je trouvais qu’en espaçant un peu, c’était plus impressionnant. Du coup, en scène, parfois, je modifiais un peu certains passages. C’est ce qu’on m’a reproché. Forcément quand un gamin arrive, change les versions en virant des pas, et qu’en plus, ça plaît au public, ça exaspère, et je le comprends très bien !
actu Paris : Vous critiquez aussi « un système de remplacement bancal », qui a été source d’angoisse et de frictions dans votre carrière.
F.A. : Ça me terrorisait. À mon époque, on n’était pas du tout préparé, on n’avait pas de « process ». On ne faisait répéter que les titulaires. Les remplaçants étaient livrés à eux-mêmes, on n’était pas du tout encadrés. Quand on a 16 ans, qu’on est projeté là-dedans, qu’on n’a pas les clés mentales et la carapace pour affronter ça, on se prend des vagues d’émotion. J’avais l’impression d’être dans un tsunami.
Une fois, j’ai été appelé pour un remplacement alors que le ballet avait déjà commencé. Je me rappelle courir dans les couloirs avec l’impression que j’allais à l’abattoir, que j’allais mourir sur scène d’humiliation. Finalement, c’était une erreur, un autre nom a été appelé. J’avais ma bonne étoile ! Quel enfer, quel stress ! Depuis, j’ai appris à pratiquer l’art du détachement.
actu Paris : En plein burn-out, c’est pendant le confinement, que vous prenez de la distance avec votre carrière de danseur à l’Opéra. Comment cela s’est-il fait ?
F.A. : Pendant le confinement, j’ai pris conscience que je n’avais pas de temps à perdre. Je ne me voyais pas continuer à vivre cette humiliation d’attendre sans cesse l’étoile. Ma place n’était pas au sein d’une institution. Robert Sutton [un professeur de management à la Stanford Engineering School] appelle ça « le coup du sale con » en entreprise : c’est quelqu’un qui va s’absenter, qui va créer de la friction, qui va être réticent à l’ordre et semer le trouble dans ses équipes, c’est quelqu’un dont on veut se séparer.
Moi, j’étais ce « sale con » quand j’étais à l’Opéra, pas parce que l’Opéra était nul, mais parce que je n’étais pas à ma place. Au milieu de ces réflexions, j’ai commencé à donner des conférences en entreprise. Je les ai aussi créées pour moi. Elles m’ont aidé à avancer avec des mantras, des clés pour surmonter l’adversité.
actu Paris : Votre nomination d’étoile arrive juste après le confinement, le 23 avril 2022. Pourtant, vous ne l’attendiez plus.
Lors de mes derniers moments de travail à l’Opéra, après le confinement, je me suis fait deux énormes déchirures sous le pied et dans l’abdomen, en un mois. Ça a été assez violent. Émotionnellement, c’était dur de revenir, je m’étais mis dans un autre état d’esprit. Je me disais : maintenant, tu es un artiste, tu es libre.
J’avais dit à ma directrice Aurélie Dupont que je ne voulais plus être étoile, que je voulais lancer ma boîte, faire autre chose. Et là, on me donne le titre. Je me suis senti tordu, déchiré de l’intérieur, ça m’a anéanti.
actu Paris : Pourtant, plus on monte dans la hiérarchie de l’Opéra, plus on gagne en liberté. La sensibilité de l’interprète semble valorisée dans la préparation d’un rôle de soliste. Si vous étiez resté en tant qu’étoile, n’auriez-vous pas pu enfin accéder à cette liberté que vous cherchiez depuis longtemps ?
F.A. : Là, on rentre dans le domaine psychologique. Quand il y a une juste dose de frustration, c’est très bon pour avancer, c’est le secret du bonheur. Me concernant, toute ma carrière à l’opéra n’a été que frustration. Cette étoile est arrivée beaucoup trop tard. Si elle était arrivée à 20 ans, je serais encore à l’Opéra de Paris, très certainement. Et j’aurais eu une compagnie à côté.
actu Paris : On a le sentiment que vous en avez eu ras le bol de l’univers du ballet.
F.A. : Il y a un truc qui m’insupporte toujours : c’est le côté suranné, le collant et les petits chaussons de danse. Peut-être qu’un jour je développerais des chaussures adaptées aux danseurs. Le chausson, c’est moche, ce n’est pas cool, pas glamour, pas chic, c’est juste vieux ! (rires) Ça marche avec un collant et un pourpoint, mais au XXIe siècle, c’est old school. Il y a des gens qui adorent ça, et c’est très bien, je ne dis pas qu’il faut l’enlever. Mais les mêmes costumes, les mêmes histoires, les mêmes musiques, le tout avec des pas qui sont quand même très codés… ce n’était pas possible pour moi.
J’en étais arrivé à un point où j’étais tellement mal que j’ai rejeté tout ce qui venait de la danse, j’en suis venu à penser que je n’aimais plus ça. Aujourd’hui, je ne crois pas que ce soit le cas. En revanche, j’ai été meurtri psychologiquement et physiquement.
actu Paris : Quelle place aura la danse dans votre futur ?
F.A. : J’ai du mal avec la répétition, l’exécution. Mais je reprends du plaisir à créer, doucement mais sûrement. Un danseur que j’admire beaucoup m’a parlé d’un futur projet artistique. Ça a revibré en moi, j’en étais tout chamboulé. Il y a quelques années, j’aurais dit oui immédiatement. Aujourd’hui, j’ai l’impression de ne plus pouvoir. Je ne pourrais plus faire ce que je faisais à 20 ans. Et en même temps j’ai couru un marathon cet été ! En redoublant d’effort, de travail, avec une vision précise, ça pourrait le faire.
Dans la danse, il me manquait la partie « sens ». J’aime l’idée de créer quelque chose avec des thématiques qui me parlent, faire composer une musique. Il faut trouver comment se réinventer, s’aligner, retrouver l’envie. La danse ne sera plus mon métier principal, mais un outil, avec l’écriture, le fait de donner du sens et de la matière à ce que je fais, par exemple avec mes conférences en entreprises.
actu Paris : Lorsque vous aviez rompu votre contrat avec l’Opéra, vous aviez laissé la porte ouverte à de futures collaborations avec la compagnie. Est-ce toujours quelque chose que vous envisagez ?
F.A. : La porte est toujours ouverte. C’est un truc que j’ai appris avec ma psy : pour bien vivre, il ne faut pas faire des ruptures, mais des séparations. La vie est pleine de surprises. Pourquoi pas ? La seule condition sine qua non, c’est qu’on ne me dirige pas !
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