(AFP) – « Un danseur m’avait un jour assuré que sa limite, c’était de ne plus pouvoir marcher »: en France, mieux prendre en charge la santé physique et mentale des artistes est un sujet grandissant dans ce milieu, où la blessure est une épreuve quasi inévitable.
La différence avec les sportifs professionnels, suivis par des médecins et des kinés spécialisés, est flagrante, ont constaté professionnels de santé et danseurs, qui se sont penchés sur la question dans le cadre du festival Le Temps d’aimer la danse organisé jusqu’au 16 septembre à Biarritz (sud-ouest).
Selon des chiffres du Centre national de la danse (CND), les danseurs de hip-hop ont pourtant 100% de risques de se blesser durant leur carrière, et leurs collègues du classique 97%.
Insuffisamment formés à la prise en charge et à la prévention des risques spécifiques liés à leur pratique, ils sont confrontés dans 34 à 57% des cas à des pathologies liées à des compensations: par exemple, des entorses traitées insuffisamment, qui induisent une sursollicitation d’autres structures du corps et donc de nouvelles blessures.
Aurélie Juret, médecin du sport, est intervenue en 2011 auprès des danseurs du Ballet Malandain de Biarritz. C’était alors une première dans le monde de la danse.
« Le but n’est pas la quête d’une performance, mais la création d’une œuvre artistique et ça change tout », souligne-t-elle, en faisant la comparaison avec le sport. « A ce moment-là, il y avait un tel nombre de danseurs blessés que cela mettait en péril la tournée ».
– Douleur « quotidienne » –
Un staff médical venu du monde du sport apprend alors les codes de cet univers.
« On ne dit pas à un danseur que la solution, c’est d’arrêter de danser, il faut comprendre cette psyché particulière qui dit que la douleur n’est pas empêchante, elle est quotidienne. Un danseur m’avait un jour assuré que sa limite, c’était de ne plus pouvoir marcher. S’arrêter remet en cause tout le groupe et l’œuvre, un danseur n’a pas de remplaçant », souligne la médecin.
Aureline Guillot, ancienne danseuse du Ballet Malandain, se souvient de la « lassitude » de chorégraphes qui la trouvaient « trop faible » quand ses déchirures multiples à la hanche gauche, traitées par un médecin généraliste et un arrêt de travail, suscitaient des « douleurs qui n’étaient pas en relation avec le diagnostic posé ».
Sa place dans la compagnie en a souffert et il a fallu qu’elle rencontre le Dr Aurélie Juret pour entamer un protocole de soins de deux ans jusqu’à sa guérison. « A l’époque, aucun des danseurs du ballet n’avait de médecin spécialisé et la direction a accepté de travailler sur le sujet, en mode laboratoire », témoigne-t-elle.
– Ancien et nouveau monde –
A Biarritz, la santé physique, psychologique et sociale des 22 danseurs du ballet est désormais scrutée. Les équipes médicales définissent les moments de la saison à haut risque de blessure ou à fort enjeu et se déplacent sur les tournées, en complément d’un suivi préventif et curatif toute l’année. Aurélie Juret salue une « volonté, depuis quatre ou cinq ans, que la santé fasse partie du monde de la danse ».
A l’Opéra de Paris, le pôle Santé est même un peu plus ancien: il a été créé en 2015, sous l’impulsion de Benjamin Millepied.
La santé mentale est une autre priorité: « 67% des danseurs expriment une souffrance psychologique plus marquée que dans la population générale », selon le CND.
Florent Cheymol, docteur en psychologie clinique et psychopathologie qui accompagne des danseurs, fait le lien avec des « institutions séculaires très fermées, peu ouvertes sur le monde extérieur et dans lesquelles on retrouve des jeunes danseurs disciplinés et un peu obsessionnels ».
Pour lui, la difficulté des danseurs à poser des limites pour préserver leur santé physique, mais aussi psychologique, réside « dans la capacité de ces institutions à entendre le refus. Or une institution qui ne s’interroge pas devient négligente ».
Aureline Guillot questionne elle aussi l’enseignement de la danse, où « la souffrance devient un thermomètre d’efficacité et de progression ». Elle voit aujourd’hui la rencontre de deux mondes : le nouveau, qui veut « construire différemment », dans le respect des limites, et l’ancien, « qui le voit presque comme une infidélité à la manière d’enseigner la discipline ».
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